Partie 2 : Parodie, Satire, Fake News… : mais de quoi parle-t-on au juste ?

Dans un contexte d’inquiétude grandissant concernant l’impact des fake news sur l’opinion publique, il est utile de s’interroger sur les différences existants entre sites parodiques ou à vocation humoristique traitant de sujets d’actualité et les sites de désinformation, et ce, afin d’éviter tout amalgame et censure systématique de contenus brouillant la frontière entre véracité et fausseté.

Cet article vise donc à s’interroger sur la place complexe de l’humour, du canular, de la satire, de la parodie ou du sarcasme pour parler de sujets politiques ou sociétaux. Il est constitué de deux parties. Dans la première partie, j’ai proposé trois critères à prendre en compte pour déterminer si un contenu relève de la désinformation ou peut être classé dans le registre humoristique. Dans cette seconde partie, je reviens sur les définitions des fake news et des différentes sortes d’humour utilisés par les sites humoristiques incriminés afin de mieux comprendre leurs particularités, leurs fonctions et leur rapport au faux.

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Pour rappel, l’un des principaux arguments de la suppression de contenus humoristiques est que ces derniers ne respectent pas les standards de la communauté ou qu’ils présentent de fausses informations. En résumé, qu’ils peuvent être considérés comme de la désinformation et qu’à ce titre, ils représentent un danger pour la construction d’une opinion éclairée des citoyens. Pourtant, il existe bien de différences entre les formes d’humour utilisées par les sites parodiques ou humoristiques incriminés et les contenus des sites de désinformation. Revenons donc sur leurs définitions.

Pullulant sur les sites et comptes de désinformation, les fake news sont, comme nous l’avons souligné dans la première partie de cet article, des fausses informations présentées comme vraies par ceux qui les ont créée sciemment ou qui les ont instrumentalisées dans le but de manipuler l’opinion à des fins politiques et/ou économiques. Ces fausses informations font appel à la crédulité du public et ont un impact sur la manière dont ce dernier peut évaluer une situation ou la pertinence d’une décision politique, économique ou idéologique. Il s’agit clairement de mensonges et de travestissements partiels ou totaux d’une réalité qui entrent dans le cadre de la propagande.

C’est le cas lorsque le gouvernement américain parle de la présence d’armes de destruction massive en Irak pour justifier une intervention militaire sur place et qu’au final, ces armes n’ont jamais existé. Dans le cas des fake news, il y a clairement la production d’un contenu fallacieux et une volonté de cacher au grand public le caractère trompeur des contenus. Il est donc utile de pouvoir démasquer ces impostures et de prendre des mesures afin de limiter leur production, leur diffusion et leur impact. Les fake news ne doivent pourtant pas être confondues avec une opinion divergente.

À ce phénomène communicationnel, il serait tentant d’amalgamer des formes d’humour qui transforment des faits tout en jouant, au moins aux premiers abords, avec la crédulité du public. Les plus couramment utilisées sont :

 

  • Le canular. Cette forme d’imposture comique a pour but de faire croire en sa véracité mais son statut de farce est éventé de manière plus ou moins rapide par ses auteur.e.s par la révélation ou la confirmation de l’imposture ou par des indices laissés dans le contenu ou le paratexte. Le propos est donc trompeur mais n’est pas destiné à tromper indéfiniment et l’objectif final de.s auteur.e.s est d’être démasqués. L’effet humoristique vient justement de la prise de conscience de l’imposture et du fait de s’être laissé avoir.

 

Si la plupart des canulars n’ont pas de vocation politique, certains – comme ceux perpétrés par les activistes américains The Yes Men[1] ou de l’humoriste britannique Sacha Baron Cohen dans son émission Who is America par exemple – sont destinés à faire réagir les politiciens en révélant leur manque de réactions face à un drame (la catastrophe de Bhopal par exemple), leurs actes délictueux ou leur manque de compétences. Contrairement aux fake news, le canular n’est pas produit par des autorités ou des contre-pouvoirs qui en seraient décrédibilisés mais bien par des contestataires citoyens ou des artistes.

  • La parodie. Elle propose une citation déformée d’un propos ou d’un texte original. Ses auteur.e.s y modifient quelques éléments de manière à ce que le propos cité soit reconnu mais que sa transformation soit décelée. Comme le souligne Patrick Charaudeau, « l’effet humoristique provient de la coexistence d’un original avec son imitation reconstruite »[2]. Même si le contenu parodique se moque du propos original, vu que l’auteur ne dissimule pas l’existence de ce dernier, il ne peut être accusé de mensonge ou de production de faux. La connaissance partagée du texte original lie les auteur.e.s et son public autour du caractère humoristique et artificiel du contenu produit et c’est cette connaissance partagée qui permet d’accéder au caractère divertissant du contenu.

C’est le fameux « Si tu reviens, j’annule tout » qu’aurait écrit Nicolas Sarkozy à son ex-femme lors des élections présidentielles françaises de 2008, qui a été transformé par Charline Vanhoenacker en « Si tu écoutes, j’annule tout », puis repris comme titre de son émission humoristique sur France Inter, jusqu’en septembre 2017.

 

  • La question de la tromperie du public serait davantage pertinente si l’on parlait du pastiche qui, lui, tente de se faire passer pour le texte original.

 

  • L’humour absurde. Il fonctionne sur la mise en évidence d’incohérences loufoques, insolites ou paradoxales. Son contenu est suffisamment loin de la réalité pour être considéré comme du mensonge.

 

C’est le cas lorsque Complots Faciles pour briller en société poste sur Facebook une photographie montrant des éoliennes et des vaches dans un pré avoisinant et déclare : « L’économie française est en danger mais le gouvernement offre des ventilateurs géants aux vaches ». Ce contenu – se basant sur la ressemblance entre les éoliennes et les ventilateurs – est tellement absurde qu’il déclenche le rire. On retrouve aussi fréquement l’utilisation de l’absurde dans le Gorafi. Son article : « Philippe Bas neutralise à mains nues les ninjas engagés par l’Elysée pour le faire taire. » en est un exemple.

  • L’ironie est une antiphrase qui consiste à dire l’inverse de ce que l’on pense. Dans cette forme d’humour, on ne touche pas à la véracité d’un fait ou d’une situation mais à la véracité d’un jugement que l’on porte sur eux. Le jugement négatif des auteur.e.s est alors présenté comme positif. Cependant, ses auteur.e.s donnent la possibilité à leur public d’avoir accès à leur véritable pensée notamment par la communication non-verbale (clin d’œil ou roulement des yeux, changement de ton de la voix, haussement de sourcils, émojis, etc.). Ici encore, on ne peut donc pas parler de fausses informations, ni même de mensonge mais d’opinion.

Cette forme d’humour est très présente sur les sites à vocation humoristique. La page Facebook Complots faciles pour briller en société introduit ainsi régulièrement ses posts absurdes ou parodiques par des phrases ironiques telles que « La version officielle ne tient pas debout» ou « Tout est lié » pour signifier à son public que son administrateur pense le contraire.

Cette forme d’humour repose sur le mépris. Elle peut être perçue comme de la taquinerie si la personne visée (la cible) a de grandes capacités d’auto-dérision mais peut aussi être vécue comme agressive, surtout si elle est répétée et qu’un public est appelé à soutenir et à propager le propos dévalorisant. Dans ce cas, elle peut participer au harcèlement moral. D’autant plus que si le public a déjà une opinion négative de la cible, il peut évidemment prendre le propos au premier degré et croire en sa véracité.

  • La satire en est proche et « décrit les défauts des gens et de la société en grossissant le trait, voire en les déformant, au point d’ailleurs d’en arriver au grotesque, ce qui, (…) distingue la satire de la parodie. »[3]. Son but est de provoquer ou de faire réfléchir. Les publications du journal Charlie Hebdo en sont des exemples récurrents et c’est le grotesque qui permettra de déterminer qu’il s’agit d’un contenu à vocation réflexive et non à vocation factuelle.

 

  • La connivence critique propose une dénonciation des faux-semblants, attaque un ordre établi pour dénoncer de fausses valeurs et se retrouve souvent dans les caricatures de presse visant le politique. Le cynisme va un cran plus loin en dévalorisant de manière assumée des valeurs que la norme sociale considère comme positives et universelles. Le cynique veut s’affranchir des règles.[4]

L’humoriste américain George Carlin en fait son beurre.

Si le sarcasme et la dérision concernent la critique d’une personne, de sa personnalité ou de ses actes ; la connivence critique, le cynisme et la satire ont une portée plus large en ceci qu’ils ont pour cible la société dans son ensemble. Pour ces formes d’humour, on ne peut pas non plus parler de mensonges puisqu’il s’agit de jugements de valeur ou de jugements sur la personne. Cela ne veut toutefois pas dire que ces jugements soient justifiés, de bonne foi ou qu’ils ne peuvent pas tomber sous le coup de la loi dans le cadre du harcèlement ou de la calomnie/diffamation.

En conclusion

Les formes d’humour utilisées par les sites à vocation humoristique traitant de sujets d’actualité sont variés, ne se cantonnent pas au divertissement et beaucoup ont clairement la vocation de faire réfléchir le public sur des questions politiques ou sociétales ou de remettre en question le système établi. La plupart restent dans le jugement de faits, plutôt que sur l’invention de faits et, à ce titre, doivent être considérés comme des opinions et non comme des mensonges.

La plupart laissent également suffisamment de traces dans le contenu (exagération, cliché, litote, antiphrase, etc.) ou dans le paratexte (émojis, descriptif de l’auteur ou du site) pour que leurs publics puissent prendre suffisamment de distance et ne pas considérer leurs contenus au premier degré, comme des contenus factuels. Cependant, il n’est pas rare que le caractère émotionnel de l’événement qui a servi de base à la production de contenus humoristiques, puisse aveugler certains, au point de leur faire rater ces traces et de les empêcher d’accéder à leur caractère humoristique.

D’autres, ciblés directement par le contenu pourront aussi être blessés et se sentir agressés. Comme nous l’avons vu dans la première partie de l’article, si le contenu humoristique ne respecte pas la loi, sa suppression est nécessaire. S’il la respecte et qu’il donne la possibilité à la cible de répondre, sa censure nous ferait perdre la possibilité, au combien appréciable, d’utiliser l’humour comme répertoire ou modalité de la critique sociale et politique. Ce qui serait dommageable pour la démocratie.

Aurore Van de Winkel

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[1] Le 3 décembre 2004, Andy Bichlbaum, membre des Yes Men s’est fait passé sur BBC pour le porte-parole de la multinationale Dow Chemical. Il y a déclaré que la société prenait l’entière responsabilité de la catastrophe de Bhopal qui, vingt ans auparavant, avait causé la mort de 15.000 à 25.000 personnes en Inde à la suite de l’explosion d’une usine produisant des pesticides.

[2] Patrick Charaudeau, “Des catégories pour l’humour”, in Questions de communication, 2006, 10, p. 31.

[3] Ibid, p. 32.

[4] Ibid, p. 37.