Depuis quelques jours, circule sur internet et sur les réseaux sociaux, ce message diffusé notamment par des pédiatres et des jeunes mamans :
« les mamans je tenais a vous dire si vous avez un bébé de – de 3 ans ou des enfants et que vous utilisez des lingettes regardez sur les lingettes si elles contiennent du phenoxyethanol si elles contiennent ce produit jetez les car elles contiennent un produit toxique pour le foie et le sang, c’est passé aux informations!!!! faites passer sur votre statut pour les mamans merci y’en a ds les pampers et ds celles d’aldi !!!!
Et moi je viens de vérifier dans celles du Colruyt aussi »
Cette information est-elle fondée ?
Cette rumeur provient, en fait, de la publication en juin 2012 d’un rapport de l’ANSM (Agence française nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) sur les effets du phénoxyéthanol et d’une dramatisation de ses résultats et de ses recommandations fondées sur le principe de précaution. Analysons cela !
Le phénoxyéthanol est l’un des conservateurs les plus utilisés dans de nombreux produits cosmétiques. On en retrouve dans les shampoings, les produits solaires, les laits pour le corps, etc. C’est un liquide huileux non volatil qui, à concentration élevée, est un antibactérien.
Il est soumis à la réglementation européenne relative aux produits cosmétiques (directive 76/768/CEE modifiée 4, annexe VI, entrée 29) qui limite sa concentration maximale d’utilisation à 1 % dans les produits cosmétiques.
Le rapport de l’ANSM recommande effectivement de ne pas utiliser de phénoxyéthanol pour les produits « spécial fessiers » des enfants de moins de 3 ans et de réduire la dose pour les produits cosmétiques liés à ces enfants à 0,4% (tant que cela n’affecte pas la propriété bactéricide de la substance) plutôt qu’au 1% maximum autorisé actuellement. Or, peu de produits atteignent ce taux de 1%. Cette recommandation a été faite parce que cette substance est présente dans de nombreux cosmétiques et que la dose cumulée de cet éther – par l’utilisation de plusieurs produits en contenant – pourrait dépasser le 1%. Le produit répandu sur la peau est absorbé par cette dernière à hauteur de 40 à 80%. Il est alors métabolisé par le foie et éliminé par l’urine. D’où l’inquiétude des consommateurs par rapport à ces effets sur le foie et le sang dans la rumeur.
Toutefois, je cite rapport: « À ce jour, et en l’état actuel des connaissances, excepté quelques rares effets indésirables locaux rapportés, il n’existe pas de publication de cas d’effets systémiques attribuables au phénoxyéthanol consécutivement à l’utilisation de produits cosmétiques chez l’Homme. « (source : ANSM, Evaluation du risque lié à l’utilisation du phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques, PDF disponible sur le site de l’ANSM)
En fait, beaucoup d’études sur cette substance ont été effectuées sur des animaux et on a pu constater que l’espèce joue sur les facteurs de risque. Beaucoup d’autres études ont été faites avec de grandes doses. Par exemple, les scientifiques ont pu constater quelques effets d’irritation de l’oeil en mettant carrément le produit dans l’oeil d’un animal. De ce côté-là, j’espère que les mamans ne lavent pas l’oeil de leur enfant avec ces lingettes! Enfin, les études n’ont pas ciblé les bébés et jeunes enfants mais plutôt les adultes.
D’où la volonté de l’ANSM de demander des études plus spécifiques sur cette catégorie d’âge plus fragile. La recommandation ne se base donc pas sur des faits avérés mais sur une mesure de précaution afin d’éviter d’éventuels problèmes.
Mais le rapport de l’ANSM est tellement technique qu’il en est rébarbatif et que son message n’est pas compréhensible, d’où la confusion.
Les mesures de restriction et d’interdiction de plus en plus fréquentes sont issues d’une érosion de la confiance publique envers la science, accusée d’avoir provoqué une révolution scientifique et technologique sans avoir réfléchi à ses conséquences, conséquences avec lesquelles la société doit maintenant composer. Les institutions chargées de la recherche scientifique ont donc mobilisé une nouvelle attitude : celle de la précaution pour éviter de reproduire les erreurs du passé dans l’idée que toute démarche visant à minimiser un quelconque danger passe pour irresponsable. Cela se concrétise par la non attente de la confirmation de possibles dangers avant d’en avertir la population, le fait d’envisager une régulation et un contrôle précautionneux ou même de bloquer l’introduction de nouvelles technologies ou nouveaux produits. Or un sentiment de risque peut être confirmé par des mesures de précaution car les individus peuvent alors s’imaginer qu’il n’y a jamais de fumée sans feu et soupçonner les scientifiques et les politiques d’en savoir plus que ce qu’ils n’en disent. Ce doute peut encourager la création et la diffusion de nouvelles rumeurs et légendes urbaines.
Cette rumeur a de nombreuses similitudes avec la fameuse légende des lingettes Swiffer qui circule depuis mai 2004 sur Internet et dénonce la (prétendue) dangerosité de lingettes nettoyantes de sol de cette marque, qui en subit les conséquences.
Dans la légende, on explique que les lingettes ont causé la mort de chiens qui léchaient leurs coussinets contaminés et étaient empoisonnés par l’éthanol et le propylène glycol n-butyle éther qu’elles contenaient. Nous pouvons voir que c’est le même genre de substance que dans les lingettes pour bébés. Le récit légendaire mettait alors en garde contre la toxicité du produit pour les enfants qui jouent sur le sol et demandait de le boycotter.
En réalité, les produits présents dans les produits ménagers ne causent pas de problèmes de santé sérieux mais plutôt des problèmes digestifs passagers. Ils sont, de plus, extrêmement volatiles. Il est impossible qu’un animal puisse en absorber suffisamment de cette manière pour être malade. L’absorption d’une grande quantité du produit peut être toutefois dangereuse, tout comme il existe une possibilité d’étouffement avec les lingettes. Bref, ne les buvez et ne les mangez pas !
Sources :
Aurore Van de Winkel, Gérer les rumeurs, ragots et autres bruits », Liège, Edipro, 2012.
Article de hoax buster sur les lingettes Swiffer à l’antigel