À la suite de l’annonce le 7 novembre 2012 de la mise en place d’une oeuvre d’art contemporaine figurant un sapin de Noël à la place du traditionnel arbre naturel sur la Grand Place de Bruxelles dans le cadre de Plaisirs d’hiver, la polémique fait rage sur la Toile. Cette polémique a véhiculé et a été alimentée, entre autres, par de nombreuses rumeurs qui ont incité une partie de la population à effectuer plusieurs accusations et actions de protestation.
Décryptons cela !
Le déclencheur de la crise a été l’envoi d’un tweet de Bianca Debaets, députée CD&V fraîchement élue à la ville de Bruxelles mais n’ayant pas participé à l’organisation des Plaisirs d’hiver puisqu’elle était alors échevine de la commune d’Ixelles. Madame Debaets a réagi à la conférence de presse de la Ville de Bruxelles du 7 novembre présentant l’œuvre d’art contemporaine monumentale qui symbolisera le sapin. Elle envoya, via Twitter, le message suivant : « Plaisirs d’hiver dorénavant sans sapin de Noël … Qu’est-ce qui suivra? Tous les œufs de Pâques bannis de la ville, car faisant trop penser à Pâques? Si ceci est le nouveau style de la ville de Bruxelles, je retiens mon souffle. »
Dans un communiqué de presse – publié par la suite sur son blog – et dans de multiples interviews à la presse, Madame Debaets clarifie sa pensée et accuse clairement la Ville d’avoir changé ses habitudes concernant l’arbre de Noël en fonction d’un argument déplacé, la pression des musulmans. Même si ce communiqué se base sur des informations erronées et ne cite pas de sources fiables et identifiables, la rumeur est reprise par une partie de la population pensant que la Ville a renoncé à une tradition de Noël pour ne pas froisser les communautés religieuses autres que chrétiennes.
La population a d’abord réagi individuellement, puis à partir du 10 novembre a commencé à s’organiser pour agir collectivement (envoi de courriels de protestation, création de pétitions, création de pages Facebook, créations de visuels de protestation circulant via les réseaux sociaux, envois de tweets, appels au boycott de la Grand Place, du sapin ou de l’événement « Plaisirs d’hiver », proposition d’apport de sapins le 8 décembre 2012, etc.).
La déclaration de Madame Debaets n’aurait pas dû être suffisante pour déclencher une polémique de cette ampleur mais elle est intervenue dans un contexte propice :
– un climat de crise avec annonce de coupes budgétaires et d’austérité de la part du gouvernement et de l’Europe. Ce climat crée de l’inquiétude dans la population craignant pour l’emploi, le pouvoir d’achat, etc. ;
– un numéro spécial du journal de la DH de vendredi 9 novembre – soit un jour avant l’apparition des pages Facebook de protestations et des pétitions – sur un sujet sensible: La Belgique deviendra-t-elle musulmane ? Cet ensemble d’articles a ravivé, dans la mémoire de la population belge, les propos déformés d’Olivier Servais, Professeur d’anthropologie de l’UCL. On lui avait attribué en 2008, la déclaration que Bruxelles deviendrait à majorité musulmane dans plusieurs années. Depuis, cette statistique choc a fait l’objet de plusieurs articles de presse ces dernières années et même de livres (par exemple, Jacques Lemaire, Une majorité musulmane à Bruxelles en 2030. Comment nous préparer à mieux ‘Vivre ensemble’, La Pensée et les Hommes, 2011). Ces statistiques basées sur des spéculations et des prévisions non prouvées ont suscité l’inquiétude dans la population Belge et parallèlement un repli identitaire ;
– plusieurs faits divers que la presse et la population ont rattaché et généralisé à la communauté musulmane : émeutes à Anderlecht, déclarations extrémistes de Sharia4Belgium, l’affaire de la burka qui a provoqué une émeute à Molenbeek, film sur la mysoginie en rue de Sophie Peeters, tourné en 2012 dans un quartier multiculturel ;
– un climat post-élections communales : élections au cours desquelles le PS fut accusé de faire son programme en fonction de l’électorat communautaire. Le parti Islam a également récolté, pour la première fois, des sièges à Molenbeek ;
– un contexte de crise de la représentation de l’art et de la signification de l’art moderne et contemporain, de son utilité, de sa légitimation et de son esthétique dans une population revendiquant le droit d’exercer son jugement de goût sans se faire imposer des normes venues des autorités ou du monde artistique. L’art contemporain se veut être un art qui suscite l’interrogation et la critique des critères traditionnels de la représentation. Dans cette conception, On apprécie une œuvre à l’aide d’autres critères que l’esthétique et l’expérience esthétique dépasse le seul goût et l’agréable. ceci en fait un art dont l’accès n’est pas immédiat mais nécessite un apprentissage (voir article de Marie-Noëlle Ryan) .
Ces différents facteurs ont suscité l’inquiétude, le repli identitaire et la méfiance chez certains Bruxellois qui ont diffusé la rumeur ou exprimé leur mécontentement. Cependant, les réactions négatives viennent de la Belgique entière même si les Flamands sont beaucoup moins nombreux. Des Français ont également repris la polémique, ont co-créé la page Facebook la plus virulente et celle qui récolte le plus d’adhérents, ont envoyés des courriels de protestation et ont créé des articles de blogs sur le sujet dont certains liés au FN français (http://programmefront-national.over-blog.com/article-bruxelles-polemique-sur-le-sapin-de-noel-112461643.html).
Après analyse, 2 grandes problématiques se détachent :
– une impression d’abandon des traditions identitaires, chères au cœur en période de crise, au détriment d’autres communauté et à la peur de la montée de l’islamisme ;
– une affaire de goût esthétique avec une polémique sur l’art contemporain.
D’autres problématiques sont périphériques :
– un souci du coût de la sculpture en temps de crise ;
– une remise en question du parti socialiste (minoritaire).
Les contestataires souhaitent remplacer la sculpture par un vrai sapin et par ce biais, diffuser leurs valeurs, retrouver leurs traditions et lutter contre ceux qui ne les partageraient pas, bref réaffirmer leur identité, ici malheureusement au détriment de boucs émissaires : les musulmans et les politiciens.
Or, la sculpture qui trônera sur la Grand Place représentera bien un sapin. La crèche, symbole religieux par excellence, sera bien présente. Le marché de Noël est toujours appelé ainsi et la fameuse rumeur du précédent, soit l’enlèvement des décorations de Noël au Palais de Justice en 2007 n’était pas le fait des autorités ministérielles mais d’un excès de zèle personnel d’une greffière. De plus, le sapin de Noël n’a jamais été décrié par les Musulmans.
La structure contemporaine qui trônera sur la Grand Place conserve bien les traditions et les symboles de Noël en les revisitant. Elle les met en lumière et leur donne toute leur place au cœur d’un cadre historique. Pier Schneider, concepteur de ce fameux Xmas Tree 2012, l’explique lui-même: « Une tradition revisitée, c’est une tradition vivante, qui va donc traverser le temps d’une plus belle manière ». Cette structure a le mérite de faire reparler de nos symboles qui trouvent ainsi leur place au centre de la fête.
Les polémiques concernant l’art contemporain ne sont pas neuves. Rappelons celle liée à l’exposition des œuvres de Murakami à Versailles en 2012 ou celle liée à la fameuse pyramide du Louvre. L’art contemporain qui a pour but de provoquer le débat et une réflexion a ici encore réussi son coup !
Il est intéressant de constater qu’au moment où la polémique fait rage dans notre pays, les contestataires français très impliqués dans cette dernière l’ont rapportée chez eux. Depuis le début du mois, en effet, c’est un village alsacien de Souffelweyersheim qui est le centre de l’attention puisque depuis que des sympathisants d’extrême droite propagent une rumeur selon laquelle le maire de ladite commune, aurait interdit le sapin de Noël de l’école maternelle pour ne pas froisser la minorité musulmane. Cela vous rappelle quelque chose ?
Sources :
Sites officiels analysés jusqu’au 16 novembre 2012
http://www.bruxelles.be/artdet.cfm/5724
Pages Facebook analysées jusqu’au 18 novembre 2012 :
https://www.facebook.com/pages/Ik-boycot-Winterpret-Je-boycotte-les-Plaisirs-dhiver/523929364283796
https://www.facebook.com/events/249792101813060/: 306 are going
https://www.facebook.com/pages/Pas-touche-%C3%A0-mon-sapin-Bruxelles/366567683433085?ref=ts&fref=ts: 4 Like
https://www.facebook.com/pages/Touche-pas-%C3%A0-mon-Sapin-/208344782633494
(le plus virulent, axé sur le racisme et la crise, se dit franco-belge) : 9075 Like
https://www.facebook.com/pages/Sauvons-le-sapin-de-Bruxelles/132605183555790: 4125 Like
Pour notre sapin à BXL, puis quoi encore ? https://www.facebook.com/groups/539877069373617/?ref=ts&fref=ts
268 Like
https://www.facebook.com/SauvonsLeSapinDeBruxelles?ref=ts&fref=ts 22 Like
https://www.facebook.com/lesapindebruxelles?ref=ts&fref=ts il faut sauver le sapin de BXL : 21 like
https://www.facebook.com/events/225629194235203/ Sapin de Geek à la Grand-Place : maintenons l’évolution : 131 going.
Articles de e-presse analysés
AFP, « Le sapin de Noël fait polémique à Bruxelles », in lefigaro.fr, 12 novembre 2012, 2http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/11/12/97001-20121112FILWWW00438-le-sapin-de-noel-fait-polemique-a-bruxelles.php
Daniel, « Ca sent le sapin », in hoaxbuster.com, 15 novembre 2012, http://www.hoaxbuster.com/hoaxliste/abre-de-noel-de-souffelweyersheim?rub=article
DRYEF, Zineb, « Versailles et l’art contemporain : polémique avant l’expo Murakami », in rue89.com, 7 août 2010, http://www.rue89.com/2010/08/07/versailles-et-lart-contemporain-polemique-avant-lexpo-murakami-161293
Auteur anonyme, « Le sapin artificiel de la Grand-Place fait polémique : « Et puis quoi ? Supprimer les œufs de Pâques ? », in lavenir.net, 13 novembre 2012, http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20121113_00231175
PRAET, Emmanuelle, « Sapin de Noël : polémique », in dhnet.be, 15 décembre 2007, http://www.dhnet.be/infos/faits-divers/article/193010/sapins-de-noel-polemique.html
R.J., « Un sapin électronique à la Grand Place : une bonne idée ? », in lavenir.net, 8 novembre 2012, http://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=DMF20121108_00229070
RYAN, Marie-Noëlle, Des goûts et des couleurs… Art contemporain et pluralisme culturel, Æ – Volume 3: Fall/Automne 1998, in http://www.uqtr.ca/AE/vol_3/ryan2.htm
STRUYS, Loïc, « Le sapin de Noël de la Grand Place suscite la polémique », in 7sur7.be, le 12 novembre 2012, http://www.7sur7.be/7s7/fr/3007/Bruxelles/article/detail/1532711/2012/11/12/Le-sapin-de-Noel-de-la-Grand-Place-suscite-la-polemique.dhtml