Depuis cinq ans, plusieurs élus de villes comme Poitiers, Nirot, Limoges, Tulle, Châlon-en-Champagne, etc. sont visés par des rumeurs les accusant d’accueillir des familles de Seine-Saint-Denis dans leur circonscription en échange de subventions diverses.
A la suite de mon interview pour Slate que vous pouvez découvrir ici, voici mon analyse plus complète.
Face à la « rumeur 9-3 », intitulée ainsi à cause du code du département, les élus incriminés ont eu quatre types de réactions. Analysons leur points forts et leurs faiblesses :
- Le silence
En pensant qu’elle s’étouffera d’elle-même, ils n’ont tout d’abord pas pris la peine de démentir publiquement la rumeur qu’ils ont pu considérer comme nuisible, fausse ou fantaisiste. Combes, Maire PS de Tulle, continue d’ailleurs cette stratégie. Ils ont ainsi pris le risque que la rumeur leur échappe et leur fasse du tort en termes d’image. Dans la plupart des cas de silence prolongé, la personnalité ou l’organisation visée par une rumeur doit finalement prendre position afin de limiter les dégâts mais elle a alors perdu un temps précieux. La non-réaction a eu, dans ce cas, l’effet contraire à celui désiré puisque la rumeur a continué de proliférer. Ceux qui y adhèrent ont pu être encouragé dans leur croyance, par un fait : la mixité sociale grandissante de leurs villes. Ils ont pu également se dire que si les autorités ne démentaient pas, la rumeur devait être vraie. Évidemment, l’augmentation de la mixité sociale aurait pu être expliquée autrement que par un transfert massif d’habitants du 9-3 décidé en grand secret par les autorités. En effet, il est évidemment moins cher d’habiter en province qu’en région parisienne et les villes visées prenant de l’ampleur, elles en deviennent plus attractives au niveau de l’emploi et des facilités.
2. Le démenti
Certains élus ont ensuite démenti la rumeur mais leurs dénégations ne l’ont pas empêchée de se répandre.
En effet, le démenti ne fonctionne que rarement car il représente la parole des personnes incriminées qui s’opposera à celles des adhérents à la rumeur, plus nombreux. Ces derniers ne s’attendent pas à ce que les autorités reconnaissent un tel complot.
Le démenti n’atteint pas non plus toujours sa cible car il est diffusé dans d’autres lieux que ceux où la rumeur se discute. Les démentis de Geneviève Gaillard, député maire PS de Nirot, accusée d’accueillir des habitants de la Seine-Saint Denis en échange de subventions, ont été publiés dans la presse locale alors que la rumeur circulait chez les commerçants ou encore dans les réseaux sociaux. Inversement, le démenti peut faire connaître la rumeur à ceux qui l’ignoraient, lui donnant un regain de popularité.
Le démenti n’explique pas toujours pourquoi la rumeur est fausse, laissant planer le doute. Il ne parvient pas non plus toujours à rassurer ceux qui y adhèrent. En effet, en se concentrant sur la défense de leur honneur et de leur travail, les élus peuvent en oublier de prendre en compte les raisons qui ont donné à cette rumeur un succès jamais démenti en 5 ans d’existence, c’est-à-dire la crainte de la dépréciation du niveau de vie dans une période de crise, la peur du chômage et son pendant : la crainte que de plus pauvres – bénéficiant des allocations sociales disponibles – lèsent d’autres qui en auraient eu besoin. Cette crainte est dans cette rumeur projetée contre une communauté noire, caricaturée en une population de seconde zone, définie uniquement par la couleur de leur peau sans distinction de nationalité, de statut social, de niveau d’études et construite à partir de préjugés racistes et d’idées préconçues contre le 9-3.
La rumeur leur permet d’accuser des non-natifs de leur ville comme étant des dangers pour la ville. Il est évidemment plus facile de projeter des actes malveillants sur des personnes extérieures plutôt que d’accepter que des délinquants fassent partie intégrante de la communauté locale.
Même lorsque les individus apprennent le caractère non fondé des événements, ils les gardent encore en mémoire. Ils retiennent qu’il s’est passé quelque chose de « louche » et d’important puisqu’il y a eu de multiples tentatives pour le démentir. À chaque nouvel incident véridique ou imaginé allant dans le sens de la rumeur (comme des agressions effectuées par des Franciliens dans la ville de Niort), celle-ci resurgira.
Et puis, la rumeur paraît parfois trop importante pour ne pas être fondée car si elle était fausse, il n’y aurait aucun intérêt à la diffuser. Le démenti peut être également moins intéressant que la rumeur. Il est rédigé en langage administratif et rationnel. Il désamorce donc l’imaginaire pour replonger le public dans la banalité du réel.
3. L’enquête
Seul Apparu a dit avoir mené une enquête auprès des bailleurs logeurs de la ville préfecture (Châlons Habitat et Renaissance immobilière châlonnaise) afin de savoir s’ils avaient un taux de familles parisiennes plus important dans les nouveaux habitants. Les résultats de cette enquête lui ont permis de dire qu’il n’y avait pas particulièrement d’attributions de logements aux familles du 9-3. Réfuter une rumeur à l’aide de données (statistiques de la provenance des nouveaux arrivants, etc.) est une excellente idée mais donner des résultats plus précis et utiliser, pour trouver ces données, un expert neutre et indépendant – et non des entités détenues majoritairement par la Ville – permettra d’éviter d’être soupçonné de les trafiquer.
4. Les réponses juridiques
Pour contrer le côté symbolique de la rumeur, le recours juridique et la médiatisation d’une plainte en justice pour obtenir une jurisprudence est une stratégie qui peut se révéler payante même si les instigateurs de la rumeur ne sont pas connus. En effet, la population se dira que les élus n’iraient pas devant les tribunaux s’ils n’avaient pas de bonnes raisons, s’ils n’avaient pas de preuves de leur bonne foi ou s’ils avaient quelque chose à se reprocher. En effet, une enquête sera effectuée.
Plusieurs personnalités politiques visées (Apparu, Gaillard, Claeys) ont déposé plainte mais n’ont pas eu la même stratégie. Gaillard a porté plainte contre X ce vendredi 11 octobre pour « préjudice causé à l’autorité publique par des assertions mensongères ». Avec cette plainte, tout le monde devient potentiellement coupable d’assertions mensongères. C’est un choix intéressant car les gens n’oseront plus en parler publiquement mais la rumeur pourra continuer à se propager en sourdine. C’est aussi dangereux car la plupart des diffuseurs ne pensent pas raconter de mensonges et se sentiront, donc, accusés à tort et pas entendus dans leur inquiétude.
En Juillet, le maire de Poitiers, Alain Claeys (PS), accusé de financer un viaduc en échange de l’accueil d’habitants du 9-3 a, lui, porté plainte, pour « outrage à personne chargée d’une mission de service public ». Il tourne la plainte vers lui-même et son travail en une attitude défensive destinée à protéger sa réputation. Cependant il n’explique pas pourquoi la rumeur est fausse, ni comment il a financé son viaduc. De plus, il ne prend pas en compte l’inquiétude des diffuseurs de la rumeur.
Les élus auraient pu choisir encore d’autres tactiques comme la contre-attaque en attribuant la rumeur à quelqu’un ou à un parti politique concurrent qui aurait pu agir intentionnellement dans l’objectif de les déstabiliser. Cette stratégie peut fonctionner en période de campagne électorale médiatisée mais elle peut également donner l’image d’une autorité paranoïaque qui veut étouffer l’affaire, ne pas reconnaître ses torts ou accuser un bouc émissaire. Et puis, il faut des preuves, ce qui n’est pas le cas. Ils auraient pu aussi discréditer les diffuseurs de la rumeur, en soulignant son côté raciste.
Les élus auraient pu mettre en exergue les incohérences de la rumeur ou extrapoler son message à une logique extrême en disant, par exemple : « Si nous amenions réellement des habitants du 9-3, alors cela voudrait dire que les élus peuvent disposer de la population de leur arrondissement comme des fermiers, du bétail. De plus, il n’y a eu aucun recours de familles du 9-3 se rebellant contre cette décision. Or, auraient-ils tous eu envie de venir habiter de notre ville ? »
La meilleure optique est de cumuler les réactions : démentir, enquêter, aller en justice mais surtout utiliser cette rumeur pour comprendre et tenir compte du réel problème : l’inquiétude des habitants concernant leur sécurité et leurs chances de pouvoir bénéficier du soutien de leurs élus en cas de problèmes liés à la crise (perte de logement, perte d’emploi, etc.).
Les maires pourraient également voir cette rumeur comme une opportunité pour améliorer leur communication vis-à-vis de la population de leur ville, la sécurité de cette dernière, la diffusion d’informations concernant les aides sociales prévues pour leurs habitants ou des politiques prévues pour aider à la relance économique et la création d’emploi. Ils pourraient aussi augmenter les actions de solidarité et de cohésion sociale, et travailler la relation de confiance entre eux et leur population. Ce n’est que grâce à un travail de fond que la rumeur pourra un jour s’éteindre.
Sources:
http://www.lunion.presse.fr/accueil/la-rumeur-du-9-3-affole-les-elus-ia0b0n230173