Parce que les personnalités aussi sont victimes de rumeurs, je vous propose un article qui est consacré à un phénomène rumoral encore très peu connu et pourtant extrêmement positif pour celui qui en est la cible!
Il y a quelques jours, la journaliste de Slate.fr, Cécile Dehesdin m’interrogeait sur le phénomène « Bill Murray ». Cet acteur semblait être le héros de plusieurs anecdotes fantaisistes : il s’incrusterait dans des soirées et ferait des blagues à des anonymes. Certaines anecdotes seraient prouvées, d’autres non. Pour plus d’informations à ce sujet, lisez ce très bel article approfondi de la journaliste[1]. Poursuivons la réflexion.
Le cas « Murray » et les récits qui le constituent forment un genre à part.
Ils se différencient des Chuck Norris facts[2] : revisitant proverbes, fictions et autres phrases cultes, ces fameux faits attribués à l’acteur place ce dernier au même niveau que les personnages de combattant justicier et costaud qu’il a l’habitude d’interpréter… tout en y ajoutant une bonne dose d’exagération qui provoque l’humour. Très courts, ils dépassent rarement la simple phrase et sont compris et diffusés comme des blagues ou clins d’œil fictionnels.
Les anecdotes mettant en scène Bill Murray ne sont pas vraiment légendes urbaines car elles concernent une personnalité bien connue et c’est cette personnalité qui attise la curiosité et suscite l’intérêt. Elles sont davantage construites que des rumeurs car nous avons bien à faire à de véritables scénarii. Elles sont, de plus, contemporaines, ce qui les différencie des légendes traditionnelles.
Je proposerais donc de les regrouper sous l’appellation de « légende personnelle ». Une légende créée (peut-être) ou entretenue (sûrement) par Bill Murray qui, de personnalité, devient ainsi un véritable personnage ! Il y contribue en ayant des comportements comparables à ceux racontés dans les anecdotes fictionnelles et ces dernières participent en retour à la légendarisation de faits réels ; les deux finissant par se mêler indistinctement.
Pourtant ce cas n’est pas une exception : d’autres personnalités ont connu des situations comparables. Rappelons-nous : les rois et empereurs d’autrefois étaient les personnages principaux de nombreuses anecdotes non vérifiées. Marchant dans une rue de Bruxelles, Charles Quint, par exemple, aurait été reconnu par l’un de ses sujets à qui il devait de l’argent. Il aurait réglé sa dette prestement et la rue du remboursement fut baptisée le Boulevard de l’Empereur en souvenir de ce jour. Charles Quint, encore, aurait refusé de prendre une choppe parce que la tenancière la lui aurait apportée en tenant la poignée. Il aurait ensuite refusé une choppe à deux anses car elle la lui aurait tendue à deux mains. La troisième fois aurait été la bonne, puisqu’elle revint avec une chope à trois anses, devenue très populaire depuis lors.
On raconte aussi régulièrement des histoires de souverains, déguisés en hommes du peuple et se mêlant à la foule jusqu’à ce qu’on les reconnaisse tardivement après qu’ils aient été témoins d’un événement embarrassant (critiques acerbes, agressions, etc.). Et la question demeure au fil des siècles : ces anecdotes sont-elles véridiques ou non ?
Plus récemment, ce sont les grandes personnalités scientifiques qui ont été les personnages de nombreuses anecdotes douteuses mais positives. Ainsi on raconte qu’Einstein, fatigué, aurait accepté la proposition de son chauffeur de le remplacer pour certaines de ces conférences. Ce dernier en aurait donc présenté quelques-unes à sa place (avec brio !). Quand il aurait été confronté un soir à une question particulièrement difficile, il aurait répondu : « Cette question est tellement facile que même mon chauffeur pourrait répondre » en désignant le célèbre scientifique assis quelques chaises plus loin[3]. On dit aussi qu’Einstein aurait raté ses examens de mathématiques et que cela ne l’a pas empêché de devenir le physicien de génie que l’on connaît. Il existe, par ailleurs, une pléthore d’anecdotes douteuses sur Archimède, Newton, Eiffel, etc. que Véronique Campion-Vincent et Jean-Bruno Renard dissèquent dans l’un de leurs ouvrages[4].
Dans le cas de Murray, on peut parler d’un réel Murraylore ou un folklore de Murray qui se différencie des exemples précédents par la culture populaire d’aujourd’hui. Ce folklore est composé de ces récits mais également de pratiques puisque certains n’hésitent plus à planter des pancartes dans leur jardin indiquant que Bill Murray a passé la soirée avec eux !
Influencés par la mode des mèmes ou des fanfictions, les adeptes du Murraylore utilisent les nouveaux médias pour diffuser photos, vidéos, récits, allusions, blagues récurrentes et aux contenus similaires mettant prétendument en scène « leur » personnage qu’ils veulent délirant, drôle et décalé tout comme dans son film Lost in Translation. Et ce, même si le vrai Bill Murray, comme signalé dans l’article de Cécile Dehesdin, n’a pas que des qualités et a pu avoir des comportements opposés !
Par ce jeu, les fans de Bill Murray se mettent également en scène et s’attribuent un rôle dans les histoires positives et décalées. Le temps de la narration, ils vivent dans le même monde qu’une star, sont vues par elles, participent à sa vie et deviennent connus également. Il ne faut qu’un pas pour qu’ils deviennent immortels par la diffusion du récit à large échelle, et qu’ils se hissent à l’égal de ces nouveaux dieux étudiés par Edgar Morin[5].
Une légende positive sur soi-même est extrêmement difficile à créer de son propre chef, mais quand les autres s’y mettent, profitez de cette expérience qui vous assurera une place de choix dans les conversations et les mémoires!
[4] CAMPION-VINCENT, Véronique, RENARD, Jean-Bruno, Légendes urbaines. Rumeurs d’aujourd’hui, Paris, éd. Payot&Rivages, coll. Petite bibliothèque Payot, 2002.
[5] Edgar Morin, Les Stars, éd. du Seuil, France, 1957.